Rencontre. Des profondeurs des terres mêlées aux couleurs minérales révélées au feu et à la lumière. Léon Serre, artiste céramiste.

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Des profondeurs des terres mêlées aux couleurs minérales révélées au feu et à la lumière. Léon Serre, artiste céramiste.

Par Stéphanie Muzard.

« Je viens de craquer mon slip »…

Samedi 29 septembre 2018, j’ai décidé d’aller au marché de Potiers de Mornac-sur-Seudre.

Je savais que je n’allais pas en ressortir indemne tant le monde de la céramique m’attire depuis longtemps, attirance sans doute liée à mes racines de la Puisaye, pays de potiers de St Amand.

Mais je ne m’attendais pas à recevoir un tel choc émotionnel, un coup de foudre… en cette période de troubles ophtalmiques, une oeuvre m’a tapée dans l’œil !

Je cherchais vaguement de quoi me le rincer, cet œil, à vagabonder et expertiser parmi les créations variées et diverses, pour glaner une nouvelle inspiration et émulation, de celles qui titillent toujours les artistes lorsqu’ils se rencontrent et s’observent, s’enrichissent mutuellement. J’étais partie en cueillette, en quelque sorte…

Artiste, n’ayant pas forcément les moyens de mes goûts prononcés pour les belles choses dont par ailleurs, je ne nie pas la valeur et dont je respecte l’évaluation, je sais combien il est difficile de coller un prix sur son propre travail artistique ou artisanal.

Parfois, pour nous, artistes, ça n’a pas de prix, les pièces uniques… J’arpente donc les ruelles du village blindé de monde, aux galeries toutes ouvertes,  sous le soleil de l’été finissant mais néanmoins écrasant de lumière.

Dès mon arrivée au petit port de Mornac, je fus attirée irrésistiblement vers le travail de Léon Serre.

Son stand se tenait parmi d’autres, dans un chatoiement de couleurs, de formes de techniques toutes plus étonnantes et créatives que les autres. Mais lui….

Je découvre son talent et je discute avec lui (80 ans !) et sa femme, leur pose des questions car je n’avais jamais vu ce genre de travail auparavant et d’une beauté remarquable. Je suis subjuguée. Voire envoûtée !

Il tourne une matière terre argileuse propre à lui-même : un mélange de terres différentes : Espagne, française et africaine, si mes souvenirs sont bons. Certaines riches en cuivre ( couleur cuivre et dorée) , d’autres en manganèse (la couleur bleue).

 

Ce sont des cuissons primitives, c'est-à-dire réalisées dans la terre elle-même et non dans un four. Il place ses pièces crues dont l’intérieur est émaillé à froid, les unes sur les autres, tête bêche, afin que la cendre n’abîme pas l’intérieur émaillé.

Ensuite il place des fagots autour et dessus.

Pendant la cuisson, il a ses petits secrets et ses protocoles…sans doute sel, algues et peut-être l’essence même des arbres avec lesquels il cuit ses œuvres. De ses oxydations, naissent des galaxies, des paysages, des univers… je trouve ça magnifique…pas si cher compte tenu de la qualité de son travail mais bon… c’est moi qui ait un budget faible, pas son travail qui est cher….

Alors, je les remercie de leurs explications et puis je poursuis mon chemin de découvertes des autres céramistes. Je discute un long moment aussi avec la potière de Mornac, bien sympathique, en pleine démonstration de tournage. J’observe ses mains, je ressens presque ses gestes dans ma chaire, j’éprouve une furieuse envie depuis petite de savoir faire ce qu’elle réalise avec dextérité sous mes yeux, avec de la terre, de l’eau et la force centrifuge. J’éprouve beaucoup d’émotion à chaque fois que j’ai la chance de voir monter de la terre entre les mains. C’est très sensuel, charnel, comme travail.

J’ai toujours eu de l’attirance et de l’admiration pour ces métiers, moi qui ne fais que modeler du grès chamotté et n’ai utilisé mon tour électrique que pour me faciliter des sculptures ou des épis de faîtages en m’y arrachant les doigts, car forcément, tourner avec du grès chamotté !

Je poursuis la fin de ce marché et je retourne voir les œuvres de Léon. C’est plus fort que moi, j’ai envie d’emporter un bout de son œuvre. Entre le céramiste et moi s’installe comme une complicité avec des mots très simples échangés car je crois qu’il devine mon vif intérêt et que je ne roule pas sur l’or ! Et puis il a bien remarqué que je suis revenue, avec des compliments : il fallait que je lui dise que j’appréciais vraiment son travail après avoir fait le tour complet du marché.

Je lorgne les petites pièces, puis les grandes, je me dis que ce n’est pas raisonnable… les petites pièces bien qu’étant fort belles, me frustrent. Et si je regardais les prix des vases, vu que mon chéri m’offre des fleurs, ce serait un prétexte pour craquer, sous couvert d’utilité… Léon me tend l’une des plus belles, tournées, il veut que je la regarde à la lumière, j’ai si peur d’être maladroite et tellement de respect pour son travail. Peur de casser. 350 €, pas si cher comme pièce unique,… je n’en ai pas les moyens, mais quelle beauté… Un vase plus petit mais tout aussi magique… le prix équivaut à 15 paquets de tabac toxique.

Je lui dis en souriant et fébrile :

« Écoutez…. Ce n’est pas bien pour mon budget ce que je vais faire mais je vais regarder ce que j’ai comme sous.»

Il me répond : « tu peux payer en deux fois, je prends aussi la carte bleue, tu sais, mais tu ne regretteras pas, c’est une très belle pièce ».

Je trouve ça étonnamment élégant d’accepter de se faire payer son travail en deux fois, alors qu’il peut très bien ne jamais en voir la couleur, une fois son œuvre emportée : quelle confiance !

J’ai 120 € en espèces dans mon porte feuille, ce sont des sous des fromages artisanaux que j’ai fais toute l’année, je me dis que peut-être ai-je un peu le droit d’en profiter. Je ferai 30 € en CB. Après tout, c’est du tabac en moins, un resto en moins, des fringues que je n’achète que rarement. C’est aussi encourager l’artisanat, le savoir-faire, la culture. Je ne résiste pas à emporter une de ces œuvres, car je me dis que je n’en aurais plus jamais l’occasion sans doute ! Je tente de me déculpabiliser mais ça ne dure pas longtemps !

Avec le sourire, je lui dis que « là, j’ai vraiment craqué mon slip ! »

Alors, je passe derrière son stand. Léon a l’air très content et de ressentir mes émotions. Parce que je suis très émue, l’achat compulsif, la consommation, ce n’est pas dans mes habitudes. Mais j’ai plein de frissons rien que d’accéder à un désir de posséder cet objet et de l’avoir au quotidien sous mes yeux. C’est quand même dingue, l’effet que cela peut produire, une œuvre !

On reparle de techniques, art. Il emballe mon trésor céramique soigneusement et il chope une petite pièce –un pot- et me la met en plus en cadeau… je suis sur un nuage, c’est vraiment hyper gentil de sa part. je crois qu’il voit bien mon admiration pour son travail. Un nuage…oui….un peu comme ceux qui se dessinent depuis les oxydations de ses matières, des nébuleuses infinies. Il doit sentir que contrairement à des gens aisés, j’ai cédé à mon désir et ai transgressé mes interdits habituels et budgétaires ! Et puis nous sommes artistes tous les deux, il y a comme une longueur d’onde qui s’est immédiatement tissée, du moins c’est ce que moi je ressens… d’ailleurs il me tutoie de suite…moi je n’ose pas, pourtant je suis d’habitude très enclin à tutoyer. Il est très sympa, Léon, ce qui ne gâche rien.

Je lui confie aussi que le travail de la terre me manque, mes expériences passées, mes rencontres, mes envies… « Fonce, vas-y, moi, je n’arrêterai jamais » me dit-il, à 80 ans….et l’œil pétillant.

Je repars, un peu perturbée, portant contre mon ventre avec beaucoup de précautions entre mes bras et mains, comme si je portais un œuf géant fragile, une part de l’œuvre de Léon et la sensation d’une puissante rencontre mais ça, je ne sais pas encore pourquoi. Je souhaite prendre en photo l’artiste à son stand, ce qu’il accepte, afin de garder en mémoire un peu de son âme et de cet instant qui fait d’un acte d’achat une véritable réflexion sur nos émotions…pourquoi cette œuvre plus qu’une autre ? Pourquoi céder à sa pulsion de possession en cette occasion et pas une autre ?

J’ai failli lui faire la bise et le saluer fraternellement mais je n’ai pas osé. Là je me suis retenue. J’étais tellement contente de repartir avec ce vase et ce cadeau en plus… sans compter rencontrer l’artiste, l’auteur qui avait fait jaillir de ses mains un si bel objet, mais bien plus qu’un objet.

J’essaie de ne pas culpabiliser mais cela m’est facile tellement je trouve mon acquisition magnifique et belle rencontre du jour assez bouleversante en ce qui me concerne !

Alors, rentrée, je dépose mon œuvre dans ma vitrine, la contemple, et puis je fais quelques recherches sur internet et éprouve le besoin d’écrire. Et puis, je ne peux qu’être d’accord avec ceci, trouvé lors de mes recherches :

                « Les vertus thérapeutiques de la poterie ou de la pratique de la peinture sont indéniables. L'espace d'un moment, le pratiquant oublie ses problèmes pour se concentrer uniquement sur ce que ses mains sont en train de créer » explique Léon Serre.

… J’ajoute que regarder et se plonger aussi dans une œuvre est aussi une thérapie… les couleurs, les formes ? Demain, peut-être que je retournerai le voir, lui transmettrai ce texte… va savoir !

J’aurais comme une furieuse envie d’apprendre avec Léon, d’assister à son travail chez lui à Tarsacq, à une cuisson, d’en savoir plus de sa part et sur les terres utilisées parce que là, j’ai vraiment reçu un choc terrestre et céleste, matière, couleurs, eau, feu… d’ordre cosmogonique et sacré, c’est ça l’effet que ça me fait !

Bref… un big bang et banque ! Mais ça vaut bien tous les coaching et médicaments du monde !

 

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29/09/2018
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